Ester Viola : tomber amoureux d'un chat

Chère Ester,

Je vous écris après avoir lu nombre de vos réponses aux traits cyniques mais réalistes, visant à encourager ceux qui, comme moi, ont croisé l'un des nombreux Beppes. Merci parce que la lecture de votre chronique m'a sauvé, m'a fait me sentir moins seul et m'a permis de comprendre pourquoi j'étais si obsédé par lui. Maintenant, des années plus tard, je ressens le besoin de partager mon histoire avec vous. Tout commence avec moi, un étudiant universitaire naïf, qui n'avais rencontré l'amour qu'une seule fois au lycée et s'était bêtement convaincu qu'elle était installée, que c'était son "heureux pour toujours" même si elle savait très bien, dans son cœur, que il n'était pas content du tout.Mon histoire se poursuivait dans la routine depuis presque six ans maintenant et à l'intérieur de moi je sentais que ces années nous avaient séparés, que nous étions différents qu'il ne me rendait pas heureuse mais j'avais peur de partir, j'avais grandi dans cette histoire, je ne savais plus comment elle marchait seule.

Lorsque l'autre arrive d'un SMS

Puis il arrive. A vrai dire, je le connaissais déjà car c'était un de mes camarades de fac mais que je commence à voir différemment, ce sera peut-être le fait qu'on devait partir ensemble pour un projet à l'étranger, ce sera que j'étais au milieu d'une dispute avec mon copain parce qu'il ne voulait pas que je parte et que je ne me sentais pas comprise et soutenue, comme si ma carrière et mon avenir n'avaient pas d'importance. Lui et moi avons commencé à nous rapprocher, à nous sentir de plus en plus souvent et je me mentais, je ne voulais pas admettre que je tombais amoureuse de lui. Cliché classique de notre époque, tomber amoureux derrière un clavier, tomber amoureux d'un chat, ne pas pouvoir s'en passer, se réjouir au son d'un message, se cacher derrière l'aperçu du message pour ne pas montrer qu'on est anxieux en attendant cette petite icône qui apparaît comme par magie sur votre téléphone.

Amour par chat

Un jour tout bascule et devient réalité, il me dit, toujours et exclusivement par message, qu'il a des sentiments pour moi, et je fais un choix : je réponds. Les jours passent où rien de physique ne se passe, nous avons cette merveilleuse conversation, ce monde n'est qu'à nous et je me sens renaître, je ressens des émotions fortes jamais ressenties auparavant, il me fait me sentir vivant, il me comble de compliments et je tombe comme un imbécile . Je quitte mon petit ami sous peu, une décision que je n'ai jamais regrettée, en fait je pense que c'est la seule bonne chose qu'il m'a fait faire. Alors me voilà, libre et à ce titre je ne voulais qu'une chose, sortir avec lui, vivre en personne notre merveilleuse conversation. Naturellement, cela n'arrive pas, ou plutôt nous nous voyons une fois, puis il va de plus en plus loin en réitérant encore et encore que nous aurions notre moment une fois partis en septembre (c'était alors en juin).

L'amour virtuel est-il important ?

Le love bombing se transforme en intérêt sporadique de sa part mêlé à une capacité à m'attribuer un sentiment de culpabilité car selon lui j'étais trop stressé puisque de temps en temps je lui demandais de nous voir. En tant qu'imbécile je le crois, j'assume ce fardeau, j'assume cette mission et j'attends. Le départ arrive, je suis très contente mais le tout dure 5 minutes : il part avec moi mais au bout de deux jours et m'ayant finalement emmené au lit il me congédie car il s'intéresse à une autre femme en Italie et au bout d'une semaine il abandonne le programme et rentre chez lui pour appeler en raison de problèmes de santé (qu'il avait en fait mais pas assez graves pour laisser une telle opportunité).

Contrôle social

Les mois passent, moi, anéantie et seule dans un pays étranger, j'essaie de forcer le dégoût que j'éprouvais pour lui à essayer de l'oublier. Celui qui suit tout ce que je fais sur les réseaux sociaux s'y cache toujours.Je reviens pour Noël et il revient sur ses pas : il me dit qu'il s'est trompé, que je lui manque, comme dans les films romantiques je pense, dommage que dans les films tout ne se passe pas par message. J'insiste et on se retrouve autour d'un café avant de partir. Oui c'est tout. A partir de là ma chute commence, la solitude ne me fait pas réfléchir, je ne peux pas m'empêcher de lui écrire tous les jours, on se voit 2/3 fois quand je reviens au fil des mois jusqu'à ce que je découvre en mai qu'il a une autre femme. Oui, je ne lui avais jamais rien demandé pas même celui de septembre, j'ai essayé de faire attention avec la peur que si j'en demandais trop il s'enfuirait. Je me fâche mais je ne peux pas partir, je me sentais seul de l'autre côté de l'Europe.

En attendant le message qui ne vient jamais

Je rentre enfin à la maison l'été et je reprends mes esprits : les messages que je n'ai pas pu m'empêcher d'envoyer me paraissent maintenant comme une torture car je dois alors attendre sa réponse qui ne vient jamais, mes amis aidez-moi beaucoup à m'en sortir (ça faisait longtemps que je n'en avais parlé à personne puisque tout a commencé alors que j'étais avec mon copain de longue date).Je lui donne un ultimatum mais bien sûr il ne change pas : "Je t'aime beaucoup mais je ne veux pas de relation maintenant" , "Je nous vois comme similaires sur le lieu de travail mais pas pour le reste" . Des réponses que j'avais déjà entendues, des phrases qui me détruisent à l'intérieur qui me font sentir qu'il manque quelque chose, pas à la hauteur. Je décide d'essayer d'avancer, de regarder autour de moi.

Aimer une personne qui n'existe pas

Je rencontre le bon, Lui avec un L majuscule, pas un parmi tant d'autres. Toujours ébranlée par l'autre, je me dis que je ne peux pas ne pas lui laisser sa chance, qu'il est bon, qu'il est différent, je sais que je n'ai pas une grande intuition sur les hommes mais avec Lui je réussis. Commencez une relation saine, adulte, sereine et heureuse. Et exaspéré par l'autre qui revient sans cesse, toujours par message pour qu'il ne fasse jamais un vrai geste, j'obtiens mon moment de revanche, je lui écris un long message dans lequel je crie toute ma souffrance et je crie que je veux être heureux maintenant , avec Lui. Bien qu" il y ait eu covid entre les deux, Lui et moi avons partagé beaucoup plus de moments joyeux qu" avec mon ex historique.Nous vivons ensemble depuis plus d'un an et j'ai de la chance. J'ai trouvé l'amour et c'est cet amour tranquille dont vous parlez mais je suis heureux, il est ma famille. L'autre m'a détruit, m'a fait me sentir vivant mais c'était une fiction, une drogue dont on ne peut pas se passer et on souffre d'addiction. Celui-ci réapparaît de temps en temps, il me regarde de derrière l'écran, sur les réseaux sociaux, silencieux comme une ombre qui se cache. Je vous écris mon histoire comme un moment de catharsis libératrice. Je te fais confiance que de temps en temps je pense à lui, moments de mélancolie pour une personne qui n'existe pas, j'ai déjà aimé une personne qui n'existe pas. Patience c'est comme ça que va la vie, s'il n'avait pas été là je n'aurais pas connu le vrai Lui.

La réponse d'Ester Viola

Cher A.,

Ah, l'amour de la jeunesse, quand rien, pas même être heureux, n'est aussi intense qu'un "il ne veut pas de moi" .

Bien sûr, je n'ai que ceci à vous dire : à vingt-cinq ans, vous pensez que la pire des questions est "pourquoi ne veut-il pas de moi ?" , à trente-cinq ans, cela devient "qui me rend mon temps?" . On passe au "ah bon, j'ai été con" à quarante ans. C'est tout ce que je sais sur l'amour, ça suffit, je pense.

Alors bien sûr, on peut facilement peindre la matière plus exotique, avec ce sujet incertain dont vous me parlez : l'évitement, l'abandon, mais ce n'est pas mon sujet et ce n'est pas un jour du tout, alors passons à autre chose.

En bref, peu importe comment vous l'appelez, friendzone ou amour non partagé ou deadcat, vous êtes dans l'impasse sentimentale très populaire. Étroit et sombre, mais nous nous serrons tous dedans. C'est la perte de force de vingt ans. Vingt ans : impossible de ne pas les jeter.

Voici, sans ordre particulier, les problèmes générés par chaque amour non partagé.

S'il ne veut pas de moi, pourquoi :

  • Écrire ?
  • Voulez-vous me voir parfois ?
  • Elle dit "je t'aime" mais alors est-elle avec l'autre ?
  • Il ne quitte pas sa femme ?
  • Continuez à me chercher?
  • Est-ce que tu me fais chanter émotionnellement ?
  • Regardez-vous mes histoires ?
  • Est-ce que tu me veux parfois ?

Voyez-vous une de vos questions ici, A. ?

L'état de confusion de la vie ne dure cependant pas longtemps. Une quinzaine d'années. Puis arrivent les premiers vrais maux de dos et on commence à voir mal de près mais plus clairement en arrière. Et en réajustant les questions, vous commencez à les corriger : qu'est-ce que j'attendais de ceux qui ne voulaient pas me connaître ? Et donc tu verras que ce sera l'amnistie pour tout le monde : ceux qui ont appelé sans dire "rencontrons-nous" , ceux qui n'ont pas appelé du tout, ceux qui t'ont tué sans même le savoir, ceux qui ont aimé ce type tu dis moi dans l'email fait.

Quand on n'a pas besoin de nous, le premier réflexe est l'enquête. Vérifiez-le pour voir si c'est mieux. Comme si savoir pourquoi résoudrait le mystère. Et dissous le mystère, le miracle devrait venir à vous. San Gennaro.

Il faut des années pour démissionner : les vérités ne servent à rien.

La leçon la plus triste que vous avalez (sans sucre) à un moment donné, c'est que ce n'était pas eux, c'était vraiment vous.Et puisque tu finiras de l'autre côté, et que tu auras mal au hasard, tu verras qu'il est pratiquement impossible de ne pas écorcher ceux qui nous aiment sans espoir d'être réciproque.

Tu ne réponds pas et ils souffrent.

Répondez, et vous donnez à boire à l'homme ivre.

Tu es gentil et ils comprennent mal.

Tu es grossier, et ils s'en veulent. Où me suis-je trompé, comment t'ai-je offensé.

Vous en profitez, parfois sans scrupule, et vous êtes narcissique.

Être mauvais est de quel côté de l'histoire vous êtes.

Note en marge mais pas trop : j'aime beaucoup ce vrai Lui, je l'aimerai encore plus dès qu'il sera dépouillé de cette dangereuse majuscule.

Articles intéressants...